Travail à distance, hybride et au bureau : point de vue de leaders
Modifications des modalités de travail
Les employés travaillent à distance depuis les années 19901, mais les avantages de ce mode de travail pour les employeurs et la main-d'œuvre se sont cristallisés lors de la pandémie de COVID-19. Alors que les gouvernements ont imposé des mesures de distanciation pour enrayer la propagation du virus de la COVID-19, la possibilité de travailler à distance a permis d'éviter une baisse de la productivité, même lorsqu'il n'était pas possible de se rendre au bureau. Au Canada, le travail à distance a atteint son apogée en avril 2020, avec 40 % des salariés travaillant la plupart du temps à domicile. Bien que cette tendance ait diminué depuis, 20 % de la main-d'œuvre continuait de travailler à distance en 20232.
Selon l'Institut C.D. Howe3, le niveau d'éducation et l'âge des travailleurs, ainsi que la taille de l'employeur, jouent un rôle dans le désir et la capacité de travailler à distance et de manière hybride. Dans l’industrie de l'assurance et de la finance, les formules de travail à distance restent populaires, puisque 65 % des employés travaillent à domicile.
Bien que la transition du travail au bureau vers le travail à distance et le travail hybride ait été provoquée par une nécessité impérieuse, les avantages pratiques qui en ont résulté sont devenus évidents pour bon nombre de personnes. Néanmoins, les employeurs cherchent à trouver un équilibre entre les besoins opérationnels et commerciaux et les attentes des employés, en tenant compte de la flexibilité qu'offre le fait de ne pas devoir travailler à temps plein dans un bureau.
Le bulletin Tour d’horizon trimestriel de l’automne 2024 se penchera sur les attitudes, les dispositions et les exigences nécessaires à la mise en œuvre réussie de formules de travail hybrides et à distance, ainsi que sur les raisons pour lesquelles certains employés souhaitent retourner au bureau à temps plein. Il existe des pratiques de base consistant à fournir des ressources et des formations, mais au-delà de cela, le travail à distance et le travail hybride nécessitent la mise en place et le développement d'un nouveau type de culture d'entreprise afin d'optimiser les compétences des employés et de permettre aux organisations, à la direction et aux employés d'en profiter.
La gestion des défis et des possibilités
Carrie Bell, cheffe du service des sinistres chez AEGIS London Managing Agency, a indiqué qu'en tant que syndicat de la Lloyd's of London, la société a suivi le protocole du marché sur le travail à distance lorsque les mesures de distanciation liées à la pandémie de COVID-19 sont entrées en vigueur. Malgré la tendance du marché à privilégier le travail au bureau, la pandémie a permis à AEGIS London d'offrir à ses employés la possibilité de travailler à domicile. Et les avantages sont clairs : la productivité au travail a augmenté.
Afin de créer des équipes soudées et une culture du travail solide, AEGIS a depuis adopté un environnement de travail hybride dans lequel les employés sont tenus de se rendre au bureau 50 % de leur temps de travail hebdomadaire, tout en bénéficiant de la flexibilité nécessaire pour décider de l'heure à laquelle ils se rendent au bureau.
« Le marché de Lloyd était traditionnel avant la COVID, en ce sens que la majeure partie du travail s'effectuait au bureau, que certaines personnes ne disposaient pas d'ordinateurs portables ou de ressources pour les réunions à distance, de sorte que le changement a été énorme », affirme Mme Bell. « On ne savait évidemment pas comment les gens allaient travailler, mais cela nous a permis de découvrir des aspects positifs, comme l'importance accordée à la productivité par rapport au nombre d'heures de travail. La productivité a augmenté et les absences ont diminué. »
Elle explique qu'en se concentrant sur la mise en place d'une culture de travail solide, elle veille au perfectionnement et à la progression de carrière de son personnel. D'après son expérience, il est difficile de gérer cela à distance. Elle travaille principalement depuis les bureaux canadiens d’AEGIS et rencontre l'équipe du service des sinistres, composée de 18 personnes, en personne, jusqu'à cinq fois par an.
« Pour progresser sur le plan personnel et professionnel, il est nécessaire de fournir une rétroaction constructive et de fixer des objectifs clairs, même si la productivité est constante, dit-elle. C'est plus difficile lorsque vous ne voyez pas vos employés à l'œuvre et, en tant que responsable, vous devez en être conscient, rechercher ces informations et gérer vos attentes et celles des autres. »
Elle ajoute que la gestion d'une équipe réduite signifie que tout le monde a son lot de travail, ce qui exige encore plus de transparence, de confiance et de communication pour que les membres de l'équipe se soutiennent mutuellement.
« Cela nécessite une prise de conscience de la part des employés et des dirigeants », dit Mme Bell. « Il est nécessaire de veiller à ce que la culture de travail reste vivante dans tout mode de travail et il est possible d'y parvenir à distance, mais cela demande un effort supplémentaire. »
Neal Jardine est le directeur du Service des renseignements sur les cyberrisques mondiaux et des réclamations chez BOXX Insurance, un cyberassureur qui compte une centaine d’employés, tous travaillant à distance au Canada et aux États-Unis.
Selon lui, qu'il s'agisse d'un mode de travail entièrement à distance ou d'un mode hybride, il est important de fournir des ressources physiques et une cyberformation.
« Nous devons préparer les gens à travailler efficacement à domicile et chercher des moyens de leur consacrer plus d'argent pour qu'ils s'y sentent à l'aise », dit-il, ajoutant que la formation à la cybersécurité et l'adoption de cyberpratiques solides sont indispensables, par exemple pour s'assurer que les gens savent comment réagir à un courriel ou à un lien suspect.
« Les employés doivent être formés à ce sujet, il faut leur rappeler de suivre le protocole et les récompenser lorsqu'ils signalent des éléments suspects », dit-il. « Nous devons encourager les comportements qui contribuent à la cybersécurité, et pas seulement punir les erreurs. »
D'après lui, un autre problème lié au travail à distance réside dans le fait que les employés peuvent avoir du mal à se déconnecter.
« Cela peut poser des problèmes de conciliation travail-vie personnelle, car le travail est toujours là », ajoute M. Jardine. « Il incombe à l’entreprise de communiquer ses attentes en ce qui concerne les réponses aux courriels et d’indiquer très clairement quand des actions et des réponses sont attendues. »
Boxx Insurance a été fondée en 2018 et s’est établie à Toronto à ce moment-là. Mais peu de temps après, l’entreprise a adopté le télétravail à part entière, car les dirigeants ont constaté que ce mode de travail leur ouvrait un bassin de travailleurs qualifiés auquel ils n’auraient pas eu accès autrement, ce qui leur donnait un avantage concurrentiel.
M. Jardine, qui a rejoint l’entreprise en 2022, estime qu’en étant limitées à l’embauche dans une zone urbaine, par exemple, les entreprises ont tendance à faire du recrutement dans le même bassin d’employés que leurs concurrents dans cette zone spécifique. L’embauche d’employés travaillant à distance permet à l’entreprise de privilégier les compétences plutôt que le lieu de travail.
« Cela nous permet de travailler avec des personnes différentes qui, dans d’autres circonstances, ne pourraient pas travailler pour nous, que ce soit en raison de leurs capacités physiques, de la durée et du coût des déplacements, ou pour d’autres raisons », dit M. Jardine.
Les différences entre les générations et les étapes de carrière ont un impact sur les préférences de travail au bureau
Ernest Mashingaidze est directeur de succursale de l’expert indépendant ClaimsPro dans ses bureaux de London, en Ontario. Il dirige une équipe de huit experts dont les carrières vont de débutant à expérimenté.
Selon lui, lorsqu’il est question du travail au bureau, il a remarqué une différence entre ce que veulent les nouveaux employés et les employés expérimentés qui comptent deux années d’ancienneté ou plus. Son bureau propose une politique de travail en mode hybride, mais offre de la souplesse quant au choix des journées où les employés travaillent du bureau.
« Même lorsque vous leur proposez des options de travail en mode hybride, les nouveaux employés se présentent au bureau 100 % du temps, car ils retirent davantage de valeur de l’apprentissage par osmose », dit M. Mashingaidze. « C’est de cette façon qu’ils apprennent le mieux et qu’ils obtiennent une riche expérience de formation. Les experts en sinistres plus expérimentés utilisent leur temps au bureau de manière différente. »
Selon Mme Bell d’AEGIS, les employés peuvent rester engagés grâce au travail à distance, mais la création d’une culture d’entreprise par le biais du travail à distance et la fidélisation des employés sont au cœur de ses préoccupations. Elle voit des avantages au travail au bureau pour tout le monde, mais, comme M. Mashingaidze, particulièrement pour les employés débutants.
« L’apprentissage inconscient qui se fait au bureau permet de développer des compétences clés qui ne concernent pas uniquement le monde des affaires », dit Mme Bell. « Cela favorise les compétences de mise en réseau et l’établissement de relations avec les collègues en interne et dans d’autres services, et permet le développement de compétences techniques et fondamentales ainsi que le transfert de connaissances entre les employés en âge de prendre leur retraite et les nouveaux venus. Il est possible d’y arriver dans un environnement de travail entièrement à distance, mais c’est plus difficile. »
Créer une culture de travail propice à la fidélisation du personnel
Mme Bell recrute principalement pour des postes de débutants et se concentre sur la fidélisation du personnel et la progression de carrière. Non seulement au sein de son équipe, mais aussi au sein de l’entreprise. Elle s’interroge sur ce qu’il advient de la culture si l’on ne prend pas soin de la bâtir et de la conserver dans un environnement de travail hybride.
« Certains de nos employés les plus jeunes savent comment travailler à distance, mais ils ont du mal à comprendre qu’il leur manque une collaboration collective et qu’il peut être difficile de la favoriser dans un environnement hybride », dit Mme Bell. « Un employé qui n’a pas de sentiment d’appartenance à une équipe est confronté à des problèmes qui nécessitent une attention immédiate. Nous voulons retenir les bonnes personnes au sein de l’organisation, même si elles changent de service, et mon objectif est de créer un lieu où les gens ont envie de travailler. »
M. Mashingaidze a affirmé que les choses évoluent, tant du point de vue des attentes des employés que des changements démographiques dans l’industrie. Cela montre qu’il est impératif de trouver un équilibre entre ce que les employés veulent et ce dont ils ont besoin, de maintenir des opérations commerciales fructueuses et de garantir la satisfaction de la clientèle.
« Parallèlement, à mesure que les baby-boomers prennent leur retraite, un vide se fait sentir au niveau du leadership. Les attentes des consommateurs, des employeurs et des employés évoluent et nous voulons fidéliser et motiver le personnel pour qu’il reste au sein d’une même organisation », dit-il. « En tant qu’employeurs, nous devons préparer notre personnel pour qu’il réussisse à gérer la productivité. »
Selon lui, pour maximiser la réussite des nouveaux employés, il faut leur communiquer les attentes et les indicateurs de rendement et leur montrer la voie à suivre pour récolter les avantages du travail à distance, ce qui nécessite une confiance élevée entre l’employeur et l’employé.
Pour M. Jardine de Boxx Insurance, préparer les nouveaux employés à réussir dans un environnement de travail à distance commence dès le processus d’embauche. Pour ce faire, et cela peut paraître contre-intuitif, il faut les rencontrer en personne. Il s’agit à la fois d’avoir une idée plus précise de la manière dont ils s’intégreront à l’équipe et d’instaurer un climat de confiance.
« La sélection des personnes à distance est différente, car nous nous appuyons sur une présence virtuelle. Ainsi, après les premières étapes de l’entretien, nous nous assurons de les rencontrer en personne », dit M. Jardine. « Le recrutement est un processus important; une nouvelle personne vient s’ajouter à l’équipe et nous devons nous assurer qu’elle s’y intègre bien. Et cela va au-delà des compétences et de l’expertise, nous devons nous assurer de son engagement et de son intérêt pour l’assurance et plus particulièrement pour le cyberrisque. Nous n’embauchons pas toujours des gens qui ont une expérience dans le domaine de l’assurance, mais qui possèdent des compétences transférables et précieuses. »
Afin d’instaurer la confiance et la convivialité dans le cadre d’un travail à distance, l’accueil des nouveaux employés a évolué au fil du temps chez Boxx Insurance. Un processus d’intégration adapté, qui a pour priorité d’apprendre à connaître les personnes et d’expliquer les objectifs et les attentes de l’entreprise, peut permettre d’éviter les complications en cours de route.
« Le processus d’intégration consiste à définir les attentes liées à la productivité et aux objectifs, et à permettre aux personnes embauchées de comprendre leur rôle », dit M. Jardine. « La façon dont ils travaillent leur appartient, mais la façon dont ils s’intègrent à l’entreprise relève de notre responsabilité, et le processus d’intégration est un outil pour y parvenir. »
Selon lui, les travailleurs à distance sont généralement plus heureux de travailler dans un environnement où ils se sentent à l’aise et où ils peuvent travailler à leur propre rythme. Les employés trouvent un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée et peuvent mieux rentabiliser leur journée de travail de huit heures, car ils ne sont pas soumis à des horaires de bureau et ne redoutent pas les déplacements domicile-travail. M. Jardine laisse entendre que ce stress peut entraver la capacité des professionnels à faire du bon travail.
Il incombe toutefois à l’entreprise de créer une culture professionnelle cohérente dans laquelle les employés se sentent intégrés, responsabilisés et confiants dans la manière d’accomplir le travail.
« Ce n’est pas la même chose de fidéliser les employés à distance », dit-il. « Dans les bureaux, les employés sont plus enclins à rester en raison des personnes avec lesquelles ils travaillent et de l’endroit où ils se trouvent. Dans un environnement de travail à distance, on peut craindre une diminution de l’aspect social qui lie les employés à l’entreprise, ce qui accentue l’importance de la création d’une culture numérique et d’un environnement de travail. »
Ce qui fonctionne chez Boxx Insurance, selon lui, c’est l’instauration d’un climat de confiance et de transparence autour des attentes, la diminution du nombre de réunions et l’obligation pour les seuls membres du personnel directement impliqués dans les projets d’y assister, ainsi que l’organisation de réunions sociales purement destinées à permettre aux collègues de faire connaissance.
Le règne des compétences de base
Dans cette nouvelle réalité qui mêle travail à distance et travail en entreprise, les critères d’embauche des employeurs vont au-delà des compétences techniques, sans pour autant négliger la sélection des meilleurs talents. Lors du recrutement pour des postes à distance ou hybrides, les compétences de base telles que la communication efficace, la gestion du temps et la confiance en soi sont très importantes. En fait, la capacité à travailler efficacement au sein d’une équipe à l’extérieur d’un bureau traditionnel pourrait être considérée comme un nouveau type de compétence en soi.
Mme Bell explique que, chez AEGIS, il est plus facile de préparer les nouveaux employés au travail hybride lorsqu’il s’agit de jeunes employés qui débutent dans leur carrière.
« De nombreuses personnes arrivant sur le marché du travail viennent de faire des études universitaires pendant la période de formation à distance, en raison de la pandémie, et savent donc comment être productives à distance », dit-elle. « Pour ce niveau d’expérience professionnelle, je recrute davantage en fonction du caractère, des aptitudes et de la capacité à apprendre et à être autonome, et leur réussite à l’université parle d’elle-même. »
M. Jardine de Boxx Insurance explique qu’il prête attention à différents types de compétences auxquelles il n’accordait pas autant d’importance auparavant.
« Le travail à distance requiert un ensemble de compétences différent, nos employés doivent être plus extravertis et à l’aise pour aller vers les autres à distance, ce qui n’est pas la même chose que de croiser quelqu’un et d’entamer une conversation au bureau », dit-il. « Mais l’entreprise doit faire en sorte que les nouveaux employés se sentent à l’aise – c’est complètement différent des conversations autour de la machine à café. »
Boxx Assurance a mis en place des processus spécifiques pour renforcer ces compétences. Ils recrutent selon cette caractéristique, mais veillent à ce que les réunions et les projets soient organisés spécifiquement pour que les employés puissent utiliser leurs compétences de manière efficace et comprennent dès le départ qui ils peuvent contacter et à quel moment.
Selon M. Mashingaidze, les politiques hybrides conçues pour s’assurer que les compétences des employés soient optimisées sont importantes, mais l’impératif pour les experts indépendants de trouver un équilibre entre le travail au bureau et le travail à distance n’est pas nouveau – le travail hybride a fait partie de leurs exigences professionnelles bien avant que de nouvelles politiques et procédures ne soient mises en place pour se conformer aux mesures de distanciation sociale. Pour répondre aux demandes d’indemnisation, il faut souvent être sur le terrain et s’éloigner du bureau. Pour l’essentiel, le travail hybride fait partie de la nature même de l’expert indépendant.
« Les experts doivent trouver un équilibre entre la charge de travail et l’imprévisibilité de la réponse à une demande d’indemnisation, parfois fréquemment », a-t-il déclaré. « Ils ont besoin de temps de bureau pour gérer leurs tâches et être productifs. »
Et dans le cadre de la politique actuelle consistant à se rendre au bureau un certain nombre de jours, M. Mashingaidze s’efforce de veiller à ce que le temps passé en face à face soit bien utilisé, tant par la direction que par les employés.
« Nos journées au bureau sont stratégiques et nous essayons de nous concentrer sur les tâches pour lesquelles il est nécessaire qu’un grand nombre de personnes se réunissent et collaborent », dit M. Mashingaidze. « Nous consacrons le temps de travail à distance à des tâches ciblées et individuelles, ce qui permet de créer un bon équilibre. »
Les journées se suivent et ne se ressemblent pas pour un expert en sinistres. Les réclamations sont urgentes et peuvent survenir à tout moment, obligeant parfois le personnel à reprogrammer une journée entière. Cela souligne l’importance d’offrir une certaine flexibilité pour le travail au bureau.
« Les experts indépendants doivent gérer leurs priorités et leur temps », indique M. Mashingaidze. « Nous avons affaire à de vraies personnes qui ont de vrais problèmes, et même si le travail est difficile pour un employé, il l’est encore plus pour la personne que nous aidons. »
Références
- https://www.cdhowe.org/sites/default/files/2024-09/E-Brief_361_0.pdf
- https://publications.gc.ca/collections/collection_2024/statcan/11-631-x/11-631-x2024001-eng.pdf
- https://www.cdhowe.org/sites/default/files/2024-09/E-Brief_361_0.pdf